Reprise d'un article qui date mais qui m'a paru intéressant, agrémenté de quelques photos :
Drones tactiques : éclairages industriel et capacitaire, par Anne-Henry de Russé
Apparus dans les années 1960 pendant la guerre du Vietnam, les drones se sont généralisés depuis plus de dix ans sur les théâtres d'opérations, du Kosovo à l'Irak et l'Afghanistan. L'industrie mondiale des drones (Unmanned Aircraft System – UAS) est en pleine expansion, avec des fusions et regroupements à venir. Les nations leaders en matière d'UAS sont les Etats-Unis avec 32 % du marché mondial, suivis par Israël, la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Le marché global des UAS devrait passer de 3,4 milliards de dollars en 2007 à 7,4 milliards d'ici 10 ans.
Drone Américain "Predator".
Les applications des drones sont multiples : mission de renseignement (surveillance, reconnaissance, identification) ou d'appui aux opérations (désignation d'objectifs, guidage, engagement d'objectifs d'opportunité) pour ce qui est des applications militaires et missions de surveillance au profit des douanes, de la sécurité civile, de la police (anti-terrorisme, surveillance du trafic routier, lutte contre l'immigration clandestin), et de l'environnement (contrôle des pêches, prévision météo, mesures scientifiques) dans le domaine civil. On peut dès lors s'interroger sur un développement européen encore hésitant, en particulier dans le domaine civil. Le fait est que la plupart des drones militaires sont encore à usage spécifique. Ils nécessitent des coûts de développement élevés et entraînent des coûts d'acquisition et de maintenance également importants en raison du faible nombre d'unités commandées. Par ailleurs, aucun standard ni aucune norme de certification civiles n'a été établie jusqu'à présent, ce qui explique que l'émergence de produits scientifiques, commerciaux et gouvernementaux non militaires aient eu du mal à émerger.
UN POTENTIEL IMPORTANT POUR LES FORCES TERRESTRES MODERNES
La catégorisation stricte d'un système de drones n'existe pas. Traditionnellement, le vecteur aérien est pris comme paramètre déterminant, néanmoins, il n'est pas le seul. La charge utile, le type de liaisons de données (relais, satellite, intégration dans des réseaux C4I), l'endurance en vol, comme le type de missions sont essentiels. Les catégories actuelles sont en pleine évolution et les limites assez floues. Le meilleur critère de catégorisation reste la masse et le type de charge utile utilisable sur une zone à une distance donnée pendant une durée donnée. Les drones "pré-stratégiques" MALE (Medium Altitude Long Endurance) ou stratégiques HALE (High Altitude Long Endurance) évoluant à plus de 14 000 mètres d'altitude pour une endurance de plus de 24 heures font preuve quotidiennement de leur redoutable efficacité dans les opérations de contre guérilla en cours en Afghanistan. Ils sont dévolus au recueil du renseignement d'ordre opératif et surtout stratégique.
Drone "MALE".
A contrario, permettant aux forces terrestres au contact d'augmenter notablement, de jour comme de nuit, la perception, en temps réel, d'une zone d'opération, certes réduite, mais d'intérêt immédiat et d'accélérer le traitement des cibles, le secteur des drones de moins de 400 kg, du drone "tactique" au micro drone constitue le domaine où les innovations technologiques et les applications duales sont les plus importantes. Ce marché est très prometteur et le tissu industriel concerné est large. Pour les armées de terre modernes, ce système va devenir très important. Il convient donc de s'y intéresser et de tenter de dresser un panorama rapide.
Pesant moins de 5 kg, les micro-drones ont un rayon d'action de moins de 10 km et une endurance de 1 heure. Ils évoluent entre 100 et 250 mètres d'altitude. S'il existe des exemplaires volants aujourd'hui, les applications militaires et la doctrine d'emploi ne sont pas encore définies à ce jour. Dans le cadre de la robotisation de l'espace de bataille, l'armée de terre française développe ce type de drones, considéré comme la "paire de jumelles déportée" du fantassin. L'idée est de disposer au niveau de la section d'infanterie d'un vecteur aérien rustique permettant une exploitation en temps réel, simple d'utilisation et nécessitant une maintenance réduite. Thales optronique expérimente actuellement le Spy Arrow en coopération avec la section technique de l'armée de terre (STAT).
Sur le plan des mini-drones, l'armée de terre française a opté pour le Tracker (Drone de reconnaissance au contact - DRAC- pour son appellation militaire) dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par EADS. C'est toutefois la PME Surveycopter qui a conçu la cellule. Avec une endurance de deux heures et une portée de 10 km, il pèse un peu plus de 8 kg et évolue jusqu'à 300 mètres d'altitude. Prévu pour équiper les batteries de renseignement de brigade (BRB), il doit être déployé dans quelques semaines en Afghanistan.
Sur le plan industriel, les PME sont donc de plus en plus présentes sur le secteur. Infotron a mis au point un mini drone à voilure tournante tandis que Bertin Technologies développe le Flying Ball et le Hover Eye. Ce type de drones légers intéresse particulièrement les forces spéciales des armées occidentales. A ce titre, la société alsacienne Flying Robots a développé une sorte de "mule" capable d'emporter jusqu'à une tonne de frêt, avec un coût largement inférieur à une heure de vol d'hélicoptère. Les applications sont duales, car ce système pourrait intéresser la gendarmerie ou les forces de l'ordre en général dans des régions difficiles d'accès.
Enfin, sur le plan des drones tactiques ou à rayon d'action moyen, on trouve principalement des drones militaires qui sont des systèmes relativement rustiques, capables de voler à basse altitude en s'affranchissant de la couverture nuageuse et ne nécessitant pas de piste de décollage ou d'atterrissage. Leur rapidité de mise en œuvre et leur coût d'acquisition et de maintien en condition opérationnelle inférieurs à ceux d'un MALE sont particulièrement appréciés actuellement en Afghanistan. D'une portée allant jusqu'à 200 km, le drone tactique évolue à une altitude de 5000 mètres avec une autonomie de 5 à 10 heures pour un poids proche de 300 kg. Les plus réputés sont le Sperwer développé par Sagem qui équipe l'armée de terre française (intégré aux systèmes ATLAS et SICF), les Shadow 200 et 400 américain développés par AAI Corp. ou encore les Hermes 180 et 450 développés par la firme israélienne Elbit Systems. La firme autrichienne Schiebel développe pour sa part le Camcopter à voilure tournante.
Un drone assemblé par Sagem.
DÉFINIR DES STANDARDS ET DES RÉGLEMENTATIONS
Toute cette gamme de drones présente l'avantage de ne pas nécessiter de satellites dans un environnement électromagnétique dense et déjà saturé. L'intégration à la circulation aérienne constitue en fait le principal défi réglementaire et technique. Si le niveau de contrainte est acceptable pour la plupart des théâtres d'opérations extérieurs au-dessus desquels l'activité de l'aviation civile est réduite voire inexistante, l'utilisation des drones en dehors des espaces ségrégués est loin d'être acquise. Il convient donc de créer des standards aboutissant à une réglementation à la fois pour le constructeur mais aussi pour le pilote.
Quelques jours à peine après la clôture du salon Eurosaroty, le 1er juillet, la Commission européenne organise une conférence afin de sensibiliser les décideurs politiques sur les capacités des véhicules non habités et en particulier les UAS. Nul doute que les drones tactiques et mini-drones, par leurs applications duales offrant des perspectives de base industrielle plus large que les drones MALE ou HALE, sauront séduire et accélérer la mise en place d'une réglementation européenne.
Anne-Henry de Russé est chercheur au Laboratoire de recherche sur la défense, Institut français des relations internationales.
Source : Le Monde.fr